Les muserolles : claquons le bec aux préjugés.

Pendant longtemps il a semblé que les "objets de torture" number one en équitation étaient la cravache et les éperons. Pourtant, depuis quelques années, les dérives et la mauvaise utilisation de la muserolle sont en passe de détrôner toute autre aide artificielle ou enrênement pour en faire l'ennemi public numéro un. A tort ou à raison ? Comme d'habitude, faisons le tour de la question !



La muserolle : un outil de contrainte par définition ?


De façon logique, lorsque les hommes ont commencé à utiliser les chevaux pour le transport et le travail, le mors n'existait pas. Pour diriger les équidés, on se servait donc d'ennasures de type licol ou bitless. Mais puisqu'on n'avait pas encore cette miraculeuse barre de métal pour soumettre les plus fougueux, comment procédait-on ? Grâce à la muserolle ! Plus ou ou moins serrée, plus ou moins placée haute, elle permettait de garder la bouche du cheval bien close et d'appuyer au choix sur des points sensibles du chanfrein, du bout du nez, des apophyses zygomatiques ou de comprimer les naseaux et couper la respiration. Autant de techniques douloureuses ou inconfortables qui permettaient d'avoir un moyen d'action et de contrainte sur le cheval (bien que l'on peut imaginer qu'à l'époque aussi, il devait y avoir des passionnés capables d'éduquer en douceur et avec une utilisation raisonnée de la muserolle).

La muserolle à son origine n'était donc pas utilisée de façon tendre, mais cela était également lié à l'époque : le cheval était un "objet utilitaire" avant tout. Quand l'art équestre a commencé à se développer il y a 1000 ans, d'autres techniques ont été inventées pour contrôler des chevaux devenus plus puissants grâce aux croisements et à la sélection des races : 
  • Des muserolles dentelées à l'intérieur, qui produisaient un effet abaisseur, 
  • Des muserolles coulissantes reliées aux rênes, qui se resserraient quand on tirait dessus, 
  • Des muserolles au système semblable à celui d'une gourmette.
La muserolle est un outil historique coercitif.
Des ennasures sans mors - Crédit : wikipédia

Mais lorsque le mors a fait son apparition, c'est sur lui que ce sont désormais concentrés les efforts pour innover, augmenter ou abaisser la sévérité, la précision et le niveau de contrôle des harnachements et la muserolle est redevenue dans la plupart des utilisations une simple lanière de cuir. A cette époque, vers le 17ème siècle, elle pouvait presque être qualifiée de décorative : on remarque d'ailleurs qu'aucun écrit de grands maîtres ne s'est jamais intéressé à la muserolle alors que les différentes pièces de l'équipement du cheval étaient, elles, très détaillées suivant leur utilisation et leur effet...?

Cette situation n'a bien sûr pas durée car en matière d'équipement, nous sommes en perpétuelle recherche d'amélioration et d'évolution. Après avoir été un instrument de contrainte très dur, puis une pièce quasi inutile, un juste milieu a été trouvé avec le développement des différentes muserolles modernes. Donc si la muserolle était bel et bien un outil coercitif à son origine, sa dureté dépend de nos jours principalement de la main qui la manie (comme avec n'importe quel équipement).



Les principaux types de muserolles modernes


Ce qui diffère entre les différentes muserolles, ce sont les points de pression, les zones où elles agissent et leur précision. Les quatre modèles plus courants sont : 


  • La muserolle allemande 

Inventée au 19ème siècle, elle devint très vite populaire, au point qu'elle fut intégrée au harnachement traditionnel de l'Ecole Espagnole de Vienne. Aujourd'hui, on la croise de plus en plus rarement, ce qui est sûrement dû au fait que c'est une muserolle sévère et difficile à régler correctement. Le fait qu'elle passe sous le mors peut interférer avec l'action de ce dernier et mal réglée, elle peut carrément créer des zones de pression dessus. Cette muserolle est assez prisée dans le travail des jeunes chevaux : en effet, elle bloque l'ouverture de la bouche et leur apprend donc très vite à se soumettre au mors. Plus ils cherchent à ouvrir la bouche, plus l'action est désagréable. Pour autant, c'est une muserolle qui semble ergonomiquement mieux adaptée au cheval que le noseband.

Muserolle allemande - Crédit: Horze.fr


  • La muserolle française

Elle se règle deux doigts sous l'apophyse zygomatique. Son action est l'inverse de la muserolle allemande : placée haute, elle agit sur le haut du chanfrein et de la bouche. Sa position et sa simplicité font d'elle la muserolle la moins précise en matière de maintien du mors à sa place.

Muserolle française - Crédit : laboutiqueducheval.com


  • La muserolle combinée 

Vers la fin 20ème siècle, c'est elle qui a pris la suite de la muserolle allemande dont elle reprend en partie l'action : en effet, la muserolle combinée est une muserolle française à laquelle on rajoute une lanière appelée noseband, qui se règle comme la muserolle allemande. L'effet combiné permettrait de mieux répartir les pressions (cependant, cette théorie de répartition des pressions grâce à la muserolle a depuis été réfutée par plusieurs bit-fitters) et le noseband permet de garder le mors bien droit dans la bouche du cheval en l'empêchant tout simplement d'ouvrir la bouche. Cet outil a d'ailleurs fait débat ces dernières années : l'utilisation du noseband semble uniquement coercitive en plus d'être assez peu précise et peu ergonomique. Son usage doit donc se faire au cas par cas.

La muserolle combinée reprend l'effet d'une muserolle française et d'une muserolle allemande.
Muserolle combinée - Crédit : boutique-equitation.com



  • La muserolle croisée

Popularisée par le milieu du jumping, on en voit que très peu en dressage. Cette muserolle qui dessine une croix sur le chanfrein a une action très étendue : la partie du haut agit sur le nez, et la partie du bas supporte la mâchoire inférieure. Il est indispensable qu'elle ne comprime pas les ganaches ni les naseaux.
Muserolle croisée, très utilisée à l'obstacle car elle agit du nez à la machoire.
Muserolle croisée - Crédi : cpnbpersonnalisation.fr




Comment choisir sa muserolle, la régler et pourquoi l'utiliser


Chaque muserolle a donc sa propre façon d'agir mais toutes ont les mêmes fonctions, qu'il est utile de rappeler. Une muserolle sert à :

  • Stabiliser le filet sur la tête du cheval, 
  • Maintenir le mors bien droit et à sa place dans la bouche du cheval (en limitant son ouverture et les possibilités que le cheval joue avec), 
  • Empêcher le cheval d'ouvrir trop grand la bouche pour se soustraire aux actions du mors. 

On en revient donc quand même à la fonction de "fermeture de bouche". Mais cette notion n'est pas forcément nocive et un moyen de faire taire les chevaux comme on peut le croire. Quand elle est bien réglée, la muserolle est un simple outil pour encadrer le cheval, qui n'a aucun effet si celui-ci se comporte normalement (c'est-à-dire, garde sa bouche fermée mais détendue ou mâchonne, comme tout cheval au travail). Elle permettra seulement d'éviter ou de faire passer de mauvaises habitudes, comme celle de passer la langue par-dessus le mors par exemple. C'est aussi une sécurité, un moyen de plus d'agir sur un cheval qui prendrait le mors aux dents. Enfin, lors du débourrage, la muserolle est un véritable outil d'apprentissage qui indique la marche à suivre au cheval en formation. Un jeune cheval cherchera parfois à se débarrasser du mors et de son action en ouvrant grand la bouche : se faisant, la muserolle appuiera sur des points du chanfrein ou de la bouche, créant un inconfort. Le cheval comprendra donc qu'en cédant et en limitant l'ouverture de sa bouche, la pression disparaît.

Mais tous ces effets positifs ou sécuritaires ne sont valables que si la muserolle est bien ajustée ! Pour cela, il faut la choisir en fonction de : 
  • La morphologie de son cheval, 
  • L'effet que l'on souhaite rechercher (suivant le problème que présente le cheval, on choisira une muserolle qui agit à cet endroit).

La muserolle mal utilisée.
Aucun rembourrage ne compensera le fait de museler son cheval...
Credit : cheval-savoir.com


Puis, le moment du réglage est vraiment primordial car il faut savoir que : 
  • Un cheval qui ne peut mastiquer contracte ses mâchoires et donc la bouche, la nuque et tout le reste. Impossible donc de travailler correctement. Cette contraction des mâchoires est révélée bien souvent par des grincements de dents. 
  • L'os et le cartilage nasal sur lesquels passe la muserolle sont des os sensibles, surtout vers les naseaux. 
  • Deux nerfs importants passent à l'endroit où l'on boucle la muserolle : là où passe la française et la où passe le noseband, à la jonction du menton et de l'auge. Si l'on écrase ces nerfs, on provoque une vive douleur pour le cheval. 

En pratique, une muserolle bien réglée ne doit JAMAIS empêcher le cheval de mastiquer : il doit pouvoir brouter ou manger un bonbon en fin de séance sans difficulté. Pour vérifier cela au moment où vous l'ajustez, il suffit de passer deux doigts en dessous : si vous y arrivez, votre muserolle est correctement mise.




Le dernier mot Jean-Pierre...


Cette diabolisation de la muserolle que l'on voit se répandre de plus en plus amène beaucoup de cavaliers à condamner son utilisation ou à se demander s'ils sont des tortionnaires en continuant de l'utiliser. La réponse est NON tant que la muserolle ne devient pas une muselière !

Une muserolle trop serrée est un acte de barbarie et cette dérive cache toujours un problème profond : niveau d'équitation faible que l'on tente de masquer en soumettant son cheval, main trop sévère qui amène le cheval à se défendre systématiquement et le cavalier à lui clouer le bec pour être tranquille, cheval mal éduqué au mors... Si vous ressentez le besoin de serrer votre muserolle, il est temps de vous remettre en question et de régler le problème de fond. Elle ne doit être là qu'à titre préventif, car il faut se rappeler qu'un bon cheval et un bon cavalier doivent pouvoir s'en passer (on perd simplement l'effet ajustement du mors dans la bouche, mais qui est par exemple presque absent avec une muserolle française).















Pour aller plus loin

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14 Cavaliers ont dit

  1. Article très complet et très intéressant. Le réglage de la muserolle est une question que je me pose en ce moment, donc c'est bien utile ces infos!

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    1. Si la question t’intéresse vraiment, je ne peux que te recommander d'aller lire les articles du site Saddlefitting que j'ai mis en référence: je m'en suis beaucoup inspiré et comme d'habitude, ils sont super bien écrits et tout y est ! :)

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  2. On m'a souvent dit, dans ma formation BP notamment, qu'une muserolle s'ajustait, et qu'il fallait "fermer le bec" à un cheval. Il ne faut pas se méprendre, l'idée était exprimé de façon un peu abrupt mais effectivement le but est de limiter l'ouverture de la bouche du cheval pour l'empêcher de se soustraire de façon violente à l'action du mors. Tout comme le gogue par exemple qui est censé n'être qu'un limitateur d'attitude et pas un instrument de contrainte directe.
    Cependant, avec le temps, à la recherche d'une autre équitation devant tant de dérives de notre équitation moderne, au fil de mes passages dans des clubs de plus en plus dégoutée par tout ce que je voyais, et grâce à une rencontre, je découvre peu à peu l'équitation dite éthologique et tout ce qu'elle peut offrir comme perspectives.
    Une amie, BEES 1, possédant un top grand poney de concours, avec de gros moyen, une fois qu'elle a eu disposé de plus de temps en arretant de bosser dans le cheval, et elle aussi motivée par une autre équitation, a travaillé son cheval en méthode étho, avec la méthode La Cense, beaucoup de travail à pied pour installer les codes, et aussi de "musculation à pied" pour le préparer physiquement avant de monter dessus, puis de travail musculaire monté et de mise en souffle, le tout en licol éthologique en corde.
    En très peu de temps, le cheval s'est vraiment musclé, elle n'a remis le filet que pour enchainer et avoir plus de précision sur le tour, mais en ayant exactement le même type de position de main et d'action qu'en licol étho. Et aussi parce que le licol n'est pas autorisé en concours.
    Ne nous méprenons pas, le licol étho est en corde, très fin, avec des noeuds placés de manière judicieuse sur des points stratégiques, c'est à proscrire d'attacher son cheval avec, mais tout le travail de l'étho, l'idée directrice c'est la cession à la pression pour obtenir le comportement voulu. Exemple, pour faire déplacer les hanches, pour botenir un cheval qui suis en main sans devoir le tracter etc etc... et le but final est d'obtenir une réponse à une pression de plus en plus légère. A la fin la flexion s'obtient avec un frôlement de rênes sur l'encolure.
    Et monté, les résultats sont impressionnants ! Le cheval est top musclé et du coup les sauts sont faciles, les parcours aussi car le cheval a la musculature pour ne devoir forcer, et il a appris à tourner avec souplesse et donc, tout est facile. Et ça gagne.

    Une méthode donc "alternative" pour une application qui nous concerne tous.

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  3. La place ici est trop courte pour développer tout ce qu'a à offrir une approche éthologique de l'équitation, mais vraiment, les possibilités sont impressionnantes.
    Et sans mors, sans enrênements, et, surprise, de façon assez rapide et durable, et ce sur tous les chevaux, à tous âges, puisque c'est leur langage que l'on utilise pour communiquer avec eux. Ce n'est pas une solution miracle, mais ça y ressemble.
    Le revers de la médaille c'est que c'est très exigeant car la réponse du cheval est immédiate et donc le cavalier doit être très exigeant avec lui-même, l'approximation est impossible, et le travail est d'abord celui du cavalier, avant d'être celui du cheval.
    J'étais très septique, sortant de l'équitation classique, formée par une BEE2 sortant de Saumur, et ben je n'ai pu que me rendre à l'évidence. Et ce n'est pas une histoire de sorcellerie, de gourou, de chuchoteurs... C'est juste la logique même. tout est tellement logique et simple finalement ! Mais c'est justement dans cette simplicité que réside la difficulté car les demandes doivent être très claires à lire pour le cheval donc à nous d'être exigeants avec nous-mêmes. C'est vraiment un bouleversement et une remise en cause de plein de choses, mais les faits sont là, et les résultats indiscutables.

    Par contre, je ne saurais que trop recommander la prudence car nombreux sont ceux qui se disent éthologues et qui sont en fait des gros mauvais, violent avec les chevaux et ne maitrisant pas les codes. Attention à choisir un bon maitre si on veut se lancer là-dedans....

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    1. Bon, du coup on a carrément dérivé des muserolles pour parler de l'éthologie (où en tout cas, on en arrive là en parlant de sa non-utilisation) :p

      Mais ce que tu dis m'intéresse énormément ! J'aimerai beaucoup pratiquer de la "vraie" éthologie, c'est pourquoi je me renseignait pour suivre une formation en septembre (avec des expérimentations sur des groupes de chevaux à mener dans des stations, observation du comportement en liberté ect). Je trouve ça passionnant et ça amène à travailler avec les chevaux de façon plus logique et pas avec le licol étho "parce que ça fait bien", mais en sachant vraiment comment on l'utilise, pourquoi (les points de pressions) et tout ça. J'ai trouvé une super coach pour le classique là mais j'aimerai vraiment trouver quelqu'un qui travaille dans cette réflexion là, avec cette approche prenant en compte le comportement naturel du cheval, prêt à s'ouvrir à des choses comme le sans mors...

      C'est vraiment trop dommage que tu sois si loin ! J'ai tellement de choses à apprendre rien que sur le travail à pied, je tourne vite en rond car pas les compétences pour faire les choses bien ou de manière poussée alors que j'adorerais mais je ne sais pas vraiment par où commencer !

      Tu aurais des exemples de travail à pied de ton amie pour mettre en souffle ou muscler ?

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  4. Article très intéressant ! Moi je m'en sers seulement en conditions particulières (concours, cross, sortie plage) quand mon cheval panique ou est stressé. Dans le reste des cas, on l'utilise jamais. Ton article est très intéressant, j'ai appris beaucoup de choses !

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    1. Et tu vois un réel changement quand tu mets la muserolle ?

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    2. Oui car il ne peut pas se soustraire au mors et du coup réagit plus vite quand je lui demande de freiner...

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  5. Bah, j'ai appris depuis toujours qu'il fallait pouvoir passer deux doigts en-dessous de la muserolle... C'est au programme du galop 2/3 (si je me souviens bien) !
    Je le fait depuis que je monte, et je n'ai toujours pas changé ma manière de faire, y compris avec ma DP.
    Et ça marche très bien =) ! Sans que je ne me sente "tortionnaire" pour autant...

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    1. Ah non mais je suis d'accord que c'est la base... Malheureusement on a l'impression que cette base, une bonne moitié des cavaliers l'oublie en cours de route...

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  6. Cet article est très intéressant !!
    Pour l'attelage avec ma ponette shetland, je n'aurais pas besoin de muserolle si elle ne passais pas la langue par-dessus son mors, mais je ne lui ai pour autant pas mis de muserolle croisée et je serre la muserolle jute comme il faut, quitte à s'arrêter pendant la ballade pour retirer le filet.
    PS : si vous avez une solution qui n'est pas un moyen de torture, je vous écoute !

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    1. Si la muserolle est correctement ajustée, c'est une bonne solution et pas du tout un moyen de torture ;)


      Si le problème est vraiment trop gênant, je dirais de vérifier qu'elle n'a pas de douleur dans la bouche, une dent qui la fait souffrir, vérifier que le filet est bien à sa taille et correctement réglé mais aussi que le mors lui convient, et enfin prendre le temps de travailler pour lui faire accepter le mors en lui apprenant à céder.

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  7. super article et très juste :) par contre certains chevaux sont nettement mieux sans!

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